(chattam) ▽ Il faut faire gaffe quand tu vis en dehors du système, tu deviens différent de ce que la société attend d'un homme. Ensuite, pour y retourner, c'est long et brutal, faut vraiment le vouloir.
Salvo. La première fois que j’ai entendu ce prénom, c’est de la bouche de ma mère qu’il est sorti. Je savais que je finirais par l’avoir à l’usure. Il est où mon père ? J’ai bien dû lui poser la question un millier de fois, en faisait presque une litanie, avant qu’elle ne se décide enfin à me donner une réponse acceptable. Il doit être en train de te donner des frères et sœurs chez Salvo, qu’elle a dit. Je l’ai plus jamais embêtée avec ça après. Le soir même, je me tenais devant le bordel en question. Un des gamins du quartier avait accepté de m’y emmener en échange d’une de mes revues pornographiques. Je me souviens avoir guetté les entrées et les sorties pendant des heures durant et autant vous dire que ça grouillait comme dans une fourmilière. Le problème, c’est qu’il y avait toujours un détail qui me revenait pas. Trop vieux, trop noir, trop désagréable à regarder, trop ceci, trop cela. A un moment, j’ai peut-être laissé l’idée de baisser les bras me traverser l’esprit. Tout ça ne mènera à rien d’autre qu’à la désillusion, de toute façon. C’est peut-être pour le mieux que j’abandonne la vaine espérance de foutre un visage au connard qui a abandonné son braillon aux mains de son garage à bite de mère. Comme pour démentir les spéculations qui infestaient ma boite crânienne, un homme correspondant trait pour trait au portrait mental que je m’étais fait de mon père a évacué le bâtiment. Je l’ai regardé s’engoudronner les poumons pendant un court laps de temps avant d’enfin me décider à l’approcher, les mains dans les poches pour avoir l’air un petit peu plus sûr de moi que je ne l’étais vraiment. « c’est toi mon père ? » que je lui ai demandé de ma voix fluette d’adolescent en pleine mue. Et ce connard là, il m’a éclaté de rire à la gueule. C’était pas vraiment l’effet que j’escomptais produire. J’ai marmonné une insulte ou deux dans ma barbe naissante et j’ai fait mine de partir. Je l’ai entendu m’interpeller par-dessus mon épaule. J’ai pas l’habitude qu’on fasse semblant de s’intéresser à moi, ça doit être pour cette raison que je me suis retourné. On a un peu discuté puis il m’a proposé un marché. Si j’acceptais de bosser pour lui, il me promettait de garder l’œil ouvert au cas où mon vieux viendrait à se pointer. Ca me semblait correct comme deal, alors j’ai accepté. De toute façon quand un mec comme Salvo vous tend sa main, la dernière chose à faire, c’est de la détourner, y a pas besoin d’avoir fait de hautes études pour comprendre ça.
Ce manège a duré une petite éternité et toujours pas de signe de mon géniteur. La vérité, c’est que j’y pensais même plus, l’esprit bien trop occupé à me défoncer la gueule au milieu de Salvo et tous ses clébards. Il pourrait tout aussi bien être mort que ça m’ébranlerait à peine. Du moins ça, c’est ce que je pensais jusqu’à ce que Salvo rendu un peu trop honnête par la blanche m’avoue qu’il a jamais été question de nous réunir et que même avec toute la volonté du monde, ça aurait pas été possible. Mon père, ça faisait bien longtemps qu’il était mort et bouffé par les vers. Ma lucidité prise en otage par la cocaïne que je m’étais envoyé dans les narines, j’ai laissé la colère faire de moi son réceptacle. Je réponds pas vraiment aux critères d’un type violent, mais ce jour-là, mes poings se sont exprimés à ma place et dieu sait qu’ils en avaient des choses à dire. Je me suis arrêté que lorsque ses mains se sont posées sur mon cou. Et là, j’ai été frappé par quelque chose de carrément transcendant. Si le nirvana existe, c’est à ça qu’il ressemble. Je l’ai frôlé du bout des doigts. Je l’ai vu de mes propres yeux. Ensuite, l’image s’est brouillée et j’ai eu l’impression de regarder la télévision alors que la tempête fait rage dehors. On sait jamais si elle va disjoncter complétement et si elle va revenir à elle.
Quand mes pupilles ont à nouveau capté la lumière, je me trouvais dans une chambre d’hôpital. Tout était si blanc autour de moi que j’ai dû cligner plusieurs fois des yeux pour enfin pouvoir voir sans avoir l’impression de regarder une éclipse sans lunettes adaptées. Sérieusement, c’est à croire qu’ils veulent déjà nous habituer à la couleur du paradis pour que la transition se fasse moins brutalement. Un bref regard autour de moi m’en a dit long sur l’aile dans laquelle je me trouvais. Les trois quart de ces types ne quitteront jamais leur lit. Pas autrement que dans un sac mortuaire, en tout cas. Est-ce que quelqu’un peut bien me dire ce que je fous ici ? Faisant de mes désirs une réalité, une infirmière se pointe dans la seconde qui suit. Ses lèvres s’agitent frénétiquement mais je n’accroche qu’un mot sur deux. Mon cerveau se focalise uniquement sur les mots clef. Drogue non identifiée. Overdose. Dépression respiratoire. Je lève une paire d’yeux agacés sur elle pour lui faire comprendre qu’elle peut disposer. J’ai pas besoin d’en savoir plus. « … je vais vous appeler un médecin. » j’ai pas l’occasion de protester qu’elle est déjà loin. Mais moi je sais que tous les médecins du monde ne peuvent rien pour moi. Mon problème, c’est une équation à une seule inconnue et cette inconnue, c’est Salvo. Peu envieux de me voir soumis à une batterie de test pour au final me voir imposer de passer tous mes mercredis après-midi dans ces réunions pour morts vivants, je n’attends pas qu’elle revienne pour m’arracher de cet endroit. Je suis apte à sortir d’ici et je suis mieux placé qu’eux pour le savoir, alors leur avis médical ils peuvent se le pousser dans le cul jusqu’au trognon.
Je n’ai jamais marché aussi vite de toute mon existence. Si la vie était un dessin animé, j’aurais laissé pour sûr une trainée aérodynamique dans mon sillage. C’est à peine si mes pieds touchaient encore le sol. Quand Salvo m’a enfin ouvert, il n’a pas semblé étonné de me voir. Que du contraire, j’aurais juré qu’il était surpris de ne pas m’avoir vu plus tôt. J’aurais probablement dû le reporter à la Milice pour ce qui était arrivé mais au lieu de ça, j’ai préféré l’implorer de recommencer, de me donner ce qui était devenu aussi primordial à mon corps que l’oxygène. J’étais à peine rentré chez moi que tout mon être redemandait déjà de cette drogue exquise. J’ai rapidement compris que mon mode de vie ne serait jamais aligné avec mes besoins tant que je crècherais chez ma mère. Rapidement, ces faits se sont confirmés. Les épisodes de manque se manifestaient de plus en plus souvent, de plus en plus fort et il n’y a rien que je pouvais faire pour y remédier, si ce n’est ramper jusqu’à la porte du pionner de toute cette folie. Pas pour rien que Salvo, ça commence comme salvation. J’ai tenu le rythme comme ça trois jours, ce après quoi j’ai fini par prendre mes cliques et mes claques et me sédentariser chez Salvo pour de bon.